Comme beaucoup d'événements récents en France, la cérémonie des JO de Paris 2024 a divisé le pays et suscité d'importantes polémiques. Mais cela n'est guère surprenant. Depuis toujours, les jeux sont aussi des jeux de pouvoir politique et idéologique.
J’ai eu le sentiment d’assister à un hold-up. Ce qui aurait dû célébrer l'universalisme des valeurs du sport s'est transformé en "campagne d'évangélisation" queer, une idéologie qui —soit dit en passant— sera catastrophique pour les femmes quand elle sera démocratisée par le CIO1 (j'explique plus bas pourquoi je retiens le terme "queer"2).
Comme beaucoup de gens, et particulièrement les chrétiens, j'ai été choqué par le trouple, l'ode aux LGBTQIA+, le défilé des gender fluides et des drag queens, la parodie de la cène et le mec en bleu tout nu.
Les commentaires de France Télévisions, notamment ceux de Daphné Bürki (directrice "stylisme et costumes" de la cérémonie), en charge de l'exégèse des valeurs du show, ont ajouté à mon exaspération. (On a même eu l'éloge du message anticapitaliste de la chanson Imagine entre un placement de produit pour LVMH et les Minions.)
En plus de cela, je ne comprenais rien au déroulement de la cérémonie; tout me semblait décousu et partir dans tous les sens. J'ai donc dit à ma femme que je ne comprenais décidément rien à l'art contemporain. “Je confirme”, m'a-t-elle répondu.
Je ne vous cache pas que j'ai pesté contre le COJO et le gouvernement qui ont validé ce programme outrancier et pervers. Je me suis senti en phase avec la tristesse exprimée par Monseigneur Emmanuel Gobilliard, évêque délégué pour les Jeux olympiques3.
Au-delà de l'émotion compréhensible et légitime du moment, c'est en disciple de Jésus que nous devons réfléchir et réagir. C'est ce que je vais modestement tenter de faire.
Malgré le péché, l'homme est l'objet de la grâce commune de Dieu. À cause de cela, toute production culturelle de l'humanité est caractérisée par le vrai, le beau, et le bon.
Mais l'homme déchu est dépravé par le péché. À cause de cela, toute production culturelle est entachée par le mensonge, la laideur et l'immoralité.
Cette cérémonie faisait la synthèse de ce clair-obscur. Il est donc normal d'y retrouver des éléments qui nous plaisent (vive Zizou) et d'autres qui nous exaspèrent. Cette cérémonie n’apportait rien de surprenant ni de nouveau. Elle était même très conforme à l’esprit occidental du siècle, allant jusqu’à la caricature.
Une partie de notre émoi est due à l'importance de l'événement et de sa portée universelle (2 milliards de téléspectateurs) et au sentiment qu'il est réalisé en notre nom.
Puisque l'homme est créé à l'image de Dieu, tout ce qu'il fait revêt une dimension spirituelle et religieuse. C'est ce que Jean Calvin appelait le sens de la divinité.
Selon Charles Taylor, la sécularisation est, entre autres, le passage d'une vision du monde inscrite dans un cadre transcendant à un cadre immanent, où rien n'est plus glorieux que l'homme. À cause du sens de la divinité que nous avons en nous, la religion ne disparaît pas, elle devient simplement immanente.
Tim Keller l'illustre parfaitement:
Nous ne nous prosternons pas physiquement devant une statue d'Aphrodite, mais de nombreuses femmes aujourd'hui sont poussées à la dépression et aux troubles alimentaires par souci obsessionnel de leur image. Nous ne brûlons pas d'encens devant l'image d'Artémis, mais quand l'argent et la carrière prennent des proportions incommensurables, nous accomplissons une sorte de sacrifice d'enfants, en négligeant nos familles et nos communautés afin d'arriver en haut de l'échelle financière et professionnelle.
La philosophe Chantal Delsol affirme que la post-chrétienté représente un retour à la pré-chrétienté, au paganisme antique. Selon elle, le désenchantement de l'Occident ne conduit pas à un simple remplacement de l'ancien par du nouveau, mais à une forme de retour à un cadre moral et ontologique qui précède celui du christianisme, une révolution “au sens strict de retour de cycle, dans les deux domaines fondateurs de l'existence humaine: la morale et l'ontologie”4.
Puisque nous vivons dans une ère du néopaganisme, c’est logique que les Jeux Olympiques, trouvant leur origine dans l'antiquité, soient la plus universelle des fêtes, rassemblant les nations pour un culte dont l'homme est l'objet. Pierre de Coubertin parlait de "religion de l’athlète"5.
Durant un mois, la ville élue devient une terre promise, ses stades des temples où les pèlerins prient et communient autour de leurs champions et louent leurs exploits. Prêtres médaillés et auréolés de gloire, ils représentent leur peuple et l'esprit de l'olympisme. Ces rites fonctionnent comme des offrandes à l'esprit des Jeux, unifiant l'audience dans une expérience collective esthétique et spirituelle.
La cérémonie d'ouverture des JO est la fête religieuse inaugurale de ce grand moment de communion universelle, comme à Babel. Accompagnées de danses et de chants, les nations font leur procession solennelle à la suite de la flamme.
Dans La cité de Dieu, saint Augustin consacre beaucoup d'espace à la critique de la religion civile de la Rome antique. Ces célébrations publiques démesurées visaient à forger une unité à travers l'Empire et à transmettre des valeurs communes. Derrière les rites païens, Augustin discernait l'activité démoniaque qui entraînait une immoralité galopante, la division et la domination. Selon lui, ces idoles/démons païens ne conduisent à rien d'autre qu'à la satisfaction sans entrave des désirs de la chair.
Augustin développe le thème de la "libido dominandi" qui anime Rome. Ce terme désigne l'asservissement à la convoitise de dominer: l'homme est dominé par son envie de dominer. Augustin observe cela dans le désir excessif de Rome pour la louange de sa gloire. En effet, les Romains désiraient être libres, et ne pouvaient tolérer la honte d'être en servitude. Le désir de gloire signifiait que leur liberté seule était insuffisante; ils devaient soumettre ceux qui les entouraient.
Rien de nouveau sous le soleil. Cette logique peut être étendue à la cérémonie des JO. À Rome comme à Paris, l'homme, esclave de sa quête de liberté, assouvit ses désirs et soumet (culturellement) les autres afin qu’ils l’approuvent. Proclamer fièrement la liberté sexuelle et identitaire, transgresser tous les tabous, moquer les racines culturelles et religieuses (Marie Antoinette décapitée et cène parodiée).
Paris voulait être glorifiée pour sa prétendue liberté et son arrogance. Elle est la ville lumière qui éveille les consciences des hommes afin de les rendre "+" queer. Quand la cérémonie est critiquée, ses partisans traquent, au nom de l'inclusivité, les réacs de "la France rance"6 qui osent les juger.
Cette libido dominandi queer qui jubile de "mettre en PLS tous les fachos"7 révèle les motivations sous-jacentes de la cérémonie.
Sachez-le, si vous n’êtes pas dans leur camp, vous êtes fasciste, raciste, d’extrême droite, nazi, bigot, trumpiste, pro-Russe et coupable de toutes les phobies.
Certains, y compris des chrétiens, ont vu un complot satanistes ourdi se cachant dans des références occultes. Je crois que c'est une mauvaise grille de lecture. Nous devons nous méfier de nos biais de confirmation.
En outre, nul besoin que cette cérémonie soit occulte ou cryptique pour qu'elle soit diabolique: le monde est en guerre contre Dieu depuis la chute et sous la coupe du prince de ce monde (Ép 2.2).
Ce que nous devons comprendre, c’est quelle eschatologie, quel monde idéal le comité organisateur et le gouvernement voulaient présenter aux nations: un monde "queerisé".
James Lindsay explique l’agenda queer8:
Dans la branche du postmodernisme appliqué appelée Théorie Queer, le terme "queer" n'est pas seulement utilisé comme un nom et un adjectif, mais aussi comme un verbe, "queeriser" (queering). "Queeriser" signifie provoquer un changement ou agir de manière à perturber les normativités, c'est-à-dire de manière à rejeter à la fois le normal et les normes en tant que principe, particulièrement mais pas uniquement en ce qui concerne les questions de sexe, de genre et de sexualité. [...]
Le "queering" est un type d'activisme qui emploie notamment la parodie, l'essentialisme stratégique des opposants et la rhétorique du totalitarisme soft pour imposer sa vision du monde. (Un bel exemple de cela donné par Sonia Devillers à l'encontre de Marion Maréchal qui critiquait le fait que le César de la meilleure actrice soit attribué à une femme trans9.
Lindsay poursuit:
Plus précisément, le queering cherche à exposer ou à découvrir que nos normes ne sont en fait que des limites à un ensemble bien plus large de possibilités — des constructions sociales que nous nous sentons incapables de produire, mais qui pourraient être différentes si nous sortions des schémas de pensée stagnants, des discours dominants et des attentes sociales contraignantes qui nous empêchent de les mettre en œuvre. Cet état d'esprit doit beaucoup au philosophe postmoderne français Michel Foucault […]. De cette manière, il est possible de voir le germe sensible et intéressant qui maintient la théorie queer en vie tout en reconnaissant qu'elle est ridicule, fondamentalement peu sérieuse et désintéressée de la réalité, voire hostile à celle-ci (la vérité, après tout, nous contraint tous).
Nous ne devrions jamais oublier que la pensée postmoderne est née en France. Les organisateurs de la cérémonie voulaient sanctifier les nations en brisant les codes qui les empêchent d'être dans l'esprit queer. Et tant mieux si ça choque.
(Paradoxalement, le penseur décolonialiste devrait y voir une résurgence de l'esprit colonial imposant sa vision du monde et ses valeurs aux nations jugées moins éclairées. Mais, en réalité, comme ce sont des minorités prétendument invisibilisées qui sont à la manœuvre, elles sont nécessairement dans le camp du bien.)
Le CIO a probablement dû recevoir quelques remarques de sponsors ou d’États à propos de la parodie de la cène, car des excuses ont été présentées dans les médias. Plusieurs acteurs ont pédalé pour faire croire que ce n’est pas la cène qui était visée, mais personne ne semble y avoir cru.
Cette cérémonie souhaitait "briser les codes" au nom de l'inclusivité afin de faire advenir le monde tel que ses organisateurs veulent qu'il soit. Un monde dans lequel l'individu est affranchi de toute entrave biologique, morale, sociale et religieuse. Un monde dédié à l'amour de soi absolutisé — un amour de soi qui est défini par soi-même dans le mépris de Dieu et des normes de sa création. En bref, le monde du "surhumain" nietzschéen.
Le péché archétypal de cette cérémonie n'est donc pas l'impudicité ou le blasphème, mais l'orgueil. C'est en cela que la cité rebelle, qu'elle se nomme Babel, Rome ou Paris, suit les traces du diable en remodelant le monde selon ses désirs rebelles.
Comment réagir? J’ouvre deux pistes.
En tant que disciples de Jésus, nous devons refuser de rendre le mal pour le mal. Notre réaction ne doit pas être réactionnaire. Nous ne sommes pas nostalgiques d'une chrétienté passée idéalisée. Jésus n'a pas besoin d'avocat, contrairement à nous. Il est au-dessus de tout nom et s'occupera lui-même de ses ennemis.
Nous ne sommes pas en lutte contre nos contemporains. De fait, nous appartenions au même royaume enténébré qu'eux. Notre union à Jésus n'est due qu'à la grâce et non à une prétendue supériorité morale.
Rappelons-nous que nous luttons contre les puissances et les principautés, pas contre les hommes. Nous le faisons en refusant le mensonge, dénonçant le mal et proclamant l’Évangile.
Dans ce combat, nous ne devons jamais nous compromettre ni céder à la haine ou renoncer à l'amour. Nous luttons pour apprendre à aimer et à bénir nos prochains, particulièrement quand ils nous maudissent.
Gardons-nous donc des réactions d’humeur et exhortons-nous aux bonnes œuvres. Ne soyons pas surpris “qu'on nous marche sur la gueule” comme l'a évoqué un prêtre sur les réseaux sociaux. C'est normal, c'est un gage de notre appartenance à Dieu.
Que le Seigneur nous aide à réaliser que c'est un honneur d'être jugés dignes d'être moqués pour le nom de Jésus (Ac 5.41).
Dans cette cérémonie, tout languissait après la transcendance et le sacré. Elle nous a dévoilé les idoles qui tiennent captives les pensées, l'imagination et les rêves de nombreux de nos contemporains, incapables de ne pas chercher Dieu et incapables de le trouver par eux-mêmes.
Il a voulu qu'ils cherchent le Seigneur et qu'ils s'efforcent de le trouver en tâtonnant, bien qu'il ne soit pas loin de chacun de nous.
Actes 17.27
Nous devons voir, dans ce qui nous apparaît au premier regard comme une provocation des rebelles, la souffrance des esclaves qui essaient de se rassurer qu'ils contrôlent leur vie. La vie en abondance et la liberté qu'ils cherchent désespérément à expérimenter ne se trouvent qu'en vivant sous le règne de celui qui est la vérité. Seule sa Parole a le pouvoir de libérer et de faire entrer dans le repos tant recherché (Jn 8.30-36).
La religion civile ne pourra jamais créer l'universalité à laquelle elle aspire. L'idolâtrie refuse obstinément de céder à la vérité, entraînant la ruine de celui qui est dominé par l'orgueil. Aimons notre prochain en disant et en faisant la vérité qui est en Christ.
Rappelons-nous notre mission. Dans notre société postchrétienne, c'est seulement au contact de l'Église que le monde est réellement au contact de la transcendance, grâce à l'annonce de l'Évangile et à l'Esprit agissant dans la communauté.
Saisissons donc l'exhortation de Lesslie Newbigin:
Les chrétiens pourront jouer le rôle qui leur revient dans une société sécularisée précisément dans la mesure où ils sont enracinés dans une réalité religieuse, dans la connaissance de satisfactions qui dépassent les objectifs de cette société. Et, inversement, la société séculière pourra perdurer et atteindre ses objectifs dans la mesure où elle est servie par des hommes et des femmes qui ont été délivrés du service de tous les faux dieux et messies pour le service du Fils de l'Homme crucifié et qui règne éternellement.
Lesslie Newbigin, Honest religion for secular man, 2011, p.129.
N'ayons pas honte de l'Évangile et ne craignons pas les moqueries. Acceptons d'être accusés faussement de fascisme (ou d'autres accusations) et ne nous préoccupons pas de notre notoriété tant que nous cherchons à imiter Jésus. Croyons qu’ils remarqueront notre belle manière d’agir et rendront gloire à Dieu le jour où il interviendra en leur faveur (1P 2.12).
Je conclus par les paroles d’Erwan Cloarec, le président du CNEF:
Voyons dans la situation qui survient une réelle opportunité de témoigner de notre foi alors que la personne du Christ vient d’être placée au centre de ces jeux. Entendons les cris du cœur et le besoin de réconciliation de nos contemporains, leur quête d’identité et d’appartenance. Ils crient dans une société pluraliste; montrons-leur comment crier plus haut vers celui qui les invite tous à sa table et offre la vraie réconciliation, l'identité et l’appartenance véritables.10
Enfin, prions pour nos autorités. Que Dieu incline leur cœur vers ce qui est vrai, beau et bon, pour le bien de tous les hommes et pour que nous puissions continuer de vivre notre foi au grand jour (1Tm 2.2).
webinaire
Politique et chrétien: que devons-nous attendre d’un gouvernement?
Découvre ce replay du webinaire de Thierry Le Gall et Florent Varak sur la question de l’engagement politique du chrétien, enregistré le 17 Février 2022.
Orateurs
F. Varak et T. Le Gall