"Que pense Paul de la Loi?" Pourquoi cette question est difficile

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Paul et la Loi, voilà un sujet au cœur de débats sans fin. Mais pourquoi, au juste, la conception paulinienne de la Loi est-elle une énigme si difficile à résoudre?

Dans ce billet, je ne cherche aucunement à percer le mystère de « Paul et la Loi » (je n’exclus pas d’y revenir ultérieurement sur ce blog). Mon objectif est beaucoup plus modeste: je veux simplement souligner quelques éléments qui rendent le débat complexe. Ces différents points ont émergé de ma lecture de l’excellent ouvrage de Brian S. Rosner, Paul and the Law. Keeping the Commandments of God

Voici quatre raisons, donc, pour lesquelles la question n’est pas simple.

1. Parce que Paul semble se contredire à propos de la Loi.

On distingue par exemple les déclarations « positives » de l’apôtre de celles qui sont très « négatives ». En Romains 7.12, « la Loi est sainte, et le commandement est saint, juste et bon » (affirmation positive). En Romains 6.14, les chrétiens ne sont « pas sous la Loi, mais sous la grâce » (affirmation négative). 

On observe également que Paul emploie le même verbe (katargeô, καταργέω) pour faire deux déclarations qui paraissent diamétralement opposées:

Est-ce que nous annulons [verbe καταργέω] ainsi la Loi par la foi? Certes non! Au contraire, nous confirmons la Loi.

– Rm 3.31

Il a dans sa chair annulé [verbe καταργέω] la Loi avec ses commandements et leurs dispositions, pour créer en sa personne, avec les deux, un seul homme nouveau en faisant la paix.

– Ép 2.15

D’après Romains 3.31, Paul n’annule pas la Loi; selon Éphésiens 2.15, il a « annulé la Loi avec ses commandements et leurs dispositions ». Comment comprendre ces deux perspectives? Sont-elles compatibles? 

2. Parce que certains textes et concepts pauliniens clés sont rudement débattus par les spécialistes du Nouveau Testament.

Brian Rosner (p. 22) relève un certain nombre de défis sur le plan exégétique quand on cherche à comprendre la place de la Loi chez Paul. Se limitant ici aux épîtres aux Galates et aux Romains, il énumère les questions suivantes:

  • Christ est-il la fin de la Loi ou sa visée (son but), ou les deux?
  • Dans quel sens ne sommes-nous plus « sous la Loi »: plus sous la juridiction de la Loi ou sous sa condamnation?
  • Les chrétiens accomplissent-ils la Loi ou Christ le fait-il pour eux?
  • La « loi de Christ » est-elle la Loi reconfigurée, ou un nouvel ensemble de commandements, ou quelque chose d’autre?
  • Sommes-nous sous la loi morale? Devons-nous observer les Dix commandements?
  • Les « œuvres de la Loi » sont-elles des marqueurs identitaires qui distinguaient Israël des nations, ou des œuvres exigées par la Loi?
  • Paul s’oppose-t-il à la pratique de la Loi simplement parce que la Loi traçait une ligne de démarcation [non souhaitée dans l’Église] entre Juifs et non-Juifs?

Le traitement de certaines de ces questions a pris une tournure différente depuis l’émergence, dans les années 1970, de la « nouvelle perspective sur Paul », à propos de laquelle j’ai rédigé ce billet

3. Parce que les théologiens du passé y ont répondu diversement et que les théologiens d’aujourd’hui approchent la question à partir de disciplines variées. 

J’aimerais citer Donald Carson, qui dirige la collection à laquelle appartient le livre de Rosner (New Studies in Biblical Theology). Dans la préface (p. 11-12), il écrit ceci (je mets en caractères gras les disciplines et les positions historiques évoquées pour faciliter la lecture):

Toute personne qui s’informe des débats de longue date sur Paul et la Loi, sur l’utilisation de l’Ancien Testament par le Nouveau (en particulier chez Paul), sur la force persuasive (ou la faiblesse) de divers systèmes théologiques (par exemple le luthéranisme, les formes variées de la théologie de l’alliance, le dispensationalisme), sur l’origine de la classification courante de la loi biblique en trois composantes (morale, civile, cérémonielle), est consciente que la conception paulinienne de la Loi se cache derrière d’innombrables autres débats théologiques.
Ajoutez à la liste de sujets qui précède la relation entre les chrétiens d’origine juive et les chrétiens d’origine non juivel’unité de la nouvelle humanité en Christ, la souplesse apparente de Paul dans le contexte de l’évangélisation des Juifs de Jérusalem et des Corinthiens en Achaïe et, dans le domaine de la théologie historique, la validité ou non du « troisième usage » de la Loi, sans compter la véritable avalanche de livres et d’articles publiés sur tous ces sujets et d’autres qui s’en rapprochent, et il devient évident qu’un ouvrage sur Paul et la Loi a toutes les chances de susciter un intérêt durable.1

Attention, donc, de se lancer avec précipitation vers une solution facile qui « expliquerait tout » en quelques mots mais qui pourrait s’avérer simpliste au regard de l’ensemble des données bibliques…

4. Parce que dans ce débat, le mot « Loi » (ou « loi ») est employé dans des sens différents. 

J’ai développé ce dernier point dans l’article « Loi et Évangile »  »  Attention, tous ne parlent pas de la même chose!

Conclusion

À mon sens, la proposition de Rosner est l’une des mieux éclairées et des plus éclairantes qui ont été développées ces dernières années. Elle se rapproche, à bien des égards, des travaux de Donald Carson, Douglas Moo, Thomas Schreiner, Frank Thielman, Jason Meyer et Stephen Wellum (et bien d’autres spécialistes du Nouveau Testament au sein du protestantisme évangélique [mais pas seulement], notamment dans la grande tradition réformée). Elle évite deux écueils opposés: ni trop simple, ni à ce point complexe qu’elle perdrait de sa force explicative (en fait, elle se résume assez facilement, comme j’espère avoir l’occasion de le montrer dans d’autres publications). 

Pour aller plus loin


1 Texte original, traduit par mes soins: « Anyone who follows long-standing debates over Paul and the law, over the use of the Old Testament in the New (especially in Paul), over the cogency or otherwise of various theological systems (e.g. Lutheranism, various forms of covenant theology, dispensationalism), over the origins of the common tripartite classification of biblical law (moral, civil and ceremonial), knows that Paul’s understanding of the law lurks behind many other theological debates.
Add to the topics already mentioned the relationships between Christian Jews and Christian Gentiles, the unity of the new humanity in Christ, Paul’s apparent flexibility when he evangelizes Jews in Jerusalem and Corinthians in Achaia, and, in historical theology, the validity or otherwise of the “third use” of the law, not to mention the sheer avalanche of books and articles on these and related topics, and one readily perceives why a book on Paul and the law is likely to be of perennial interest. » 

Billet publié pour la première fois le 3 novembre 2020, republié le 19 septembre 2022 pour profiter à de nouveaux lecteurs.

Dominique Angers

Doyen de la Faculté de Théologie Évangélique à Montréal (Université Acadia), Dominique Angers y est aussi professeur de Nouveau Testament et de prédication. Docteur en théologie de l’Université de Strasbourg, il s’exprime régulièrement sur son podcast vidéo d’enseignement biblique, “Parle-moi maintenant”. Il est l’auteur du livre La méditation biblique à l’ère du numérique et du Commentaire biblique Parle-moi maintenant par Éphésiens. Son prochain commentaire, Parle-moi maintenant par Marc, paraîtra chez BLF.

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